JL (1926-)
Julius Kelp est professeur de chimie dans une université américaine. Il arrive à son cours avec un peu de retard. Il faut dire que la veille, il a avalé une quantité d’alcool non négligeable et, comme on dit, il a plutôt mal aux cheveux. Nous sommes dans un film comique.
Un comique classique jouerait la scène avec des mimiques appuyées pour évoquer la gueule de bois et le mal de crâne. Le comique qui joue le rôle de Julius nous fait tout ça d’une façon remarquable. On peut même dire unique, c’est d’ailleurs sa marque de fabrique.
Seulement voilà, le dit comique est aussi réalisateur. Il a parfaitement compris que dans cinéma comique, il y a 2 mots : comique et cinéma. Alors le cinéaste a une très bonne idée pour exprimer l’état post-cuite de Julius. Tous les bruits dans la salle de cours sont amplifiés. Un étudiant écrit sur le tableau, le bruit de la craie prend des proportions démentielles, qui, superposé sur les mimiques de souffrance de Julius donne un véritable spectacle de cinéma-comique. Un effet que seul le cinéma peut nous offrir…
Seulement voilà, le dit comique-réalisateur est aussi un génie. À partir d’un effet comique purement cinématographique (pour ne pas dire technique), il franchit une étape supplémentaire, en transcendant l’effet. L’effet est installé avec le bruit de la craie, et comme il sait que les plaisanteries ne se répètent pas 2 fois et qu’en même temps le spectateur en redemandera, il réitère l’effet mais avec d’autres bruits : réacteur d’avion, coups de pistolet, synthétiseurs, etc.
C’est sur un petit truc de plus que l’on bascule dans le génie…
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Jeudi dernier, Jerry Lewis a eu 80 ans. Et presque 35 ans qu’il me fait toujours marrer. Plus encore, aujourd’hui. La maturité de ma connaissance de la grammaire et de syntaxe cinématographique peut-être ?
Même si jeudi, notre ministre de la culture l’a élevé au grade de commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, et si quelques papiers ont été publiés pour son anniversaire et la sortie de son bouquin, Dean et moi, tout le monde l’avait un peu oublié.
Les Américains le considèrent comme un abruti, et son succès en France dans les années 60-70 est tout relatif puisqu’il s’est totalement éteint depuis, et surtout reste un mystère pour moi. Oui, ce que je veux dire c’est sa voix française, son doublage, qui est d’une hérésie rarissime, tout, mais vraiment tout, sauf l’original.
Voilà, on devrait commencer par ça : rendre obligatoire la vision des films de Jerry Lewis en VO. Pourquoi ce doublage dramatique ? Un des grands mystères des années 60. Pour ces 80 berges, merde ! une TV aurait pu faire cet effort, nous passer The Nutty Professor, qui comme chacun sait en anglais veut dire Docteur Jerry & Mister Love. Surtout que le dit docteur est professeur et qu’il s’appelle Julius Kelp…
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En fait le problème de Jerry Lewis, c’est qu’il est toujours vivant. S’il était mort la semaine dernière, au lieu d’avoir l’indécence de fêter ses 80 ans, de toujours faire de la scène et d’être membre du syndicat des accessoiristes d’Hollywood depuis 60 ans, on nous aurait expliqué que c’est bel et bien un des plus grand cinéaste de sa génération. Un vrai génie (145 de QI), mais surtout un génie de cinéma. Des élèves de l’UCLA ont bénéficié de ses cours de cinéma dans les années 70/80.
Jerry Lewis est un des plus grands réalisateurs du cinéma. C’est un fait, Dieu merci, reconnu par les encyclopédistes et historiens du 7e art qui le classent déjà dans les mêmes pages que Chaplin, Keaton, Linder ou Jacques Tati et Pierre Étaix. Ce que je ne comprends pas, c’est cet oubli sournois qui s’installe progressivement depuis presque une vingtaine d’années.
Tenez, par exemple à la cinémathèque Française, ils auraient peut-être pu faire une petite rétrospective, non ? Je n’ai rien contre Anthony Maan qui occupe les écran du temple de Bercy depuis le 1er février, mais bon, vous, les descendants des penseurs du cinéma français qui ont adulé Jerry Lewis au début des années 60, vous n’avez pas l’impression d’avoir loupé le coche ?
Ces films sont certes disponibles en dvd, mais dans des éditions lamentables que seuls des fondus comme moi peuvent acheter et les faire découvrir aux kids. Sur Internet, curieusement, il n’y a pas beaucoup de pages intéressantes sur lui, à part les sites vendant ses dvd, et très peu de photos (contrôle-t-il de manière sévère son image ?).
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Jerry Lewis se dilue déjà dans les archives de l’histoire du cinéma. C’est bien d’entrer dans les bouquins de son vivant, mais si ces références ne sont quasiment plus visibles, plus vivantes, quel intérêt ?
Monsieur Lewis, je vous aime depuis ma plus tendre enfance, et pour terminer, j’espère qu’un jour les connards d’avocats, de producteurs et de banquiers vous foutront enfin la paix et vous permettront de sortir votre film, celui de votre vie, qui dort dans des boites depuis plus de 30 ans, The Day the Clown Cried (1972), que vous avez, comme à chaque fois, produit, écrit, réalisé et interprété. Vous y êtes un clown qui essaie de faire rire des enfants dans les camps. Et même si vous l’avez dit un soir chez Ardisson, vous n’en voulez pas trop à Roberto Benigni qui en a fait La vie est belle, on préférait voir l’original…
Façon de rappeler une lapalissade un peu trop souvent oubliée :
faire rire, c’est extrêmement sérieux.
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Bonus (pour détendre, mais voyez plutôt la scène, c’est à mourir…). La recette du cocktail que seul Buddy Love peut avaler :
Le réchauffeur d’ours-polaire-d’Alaska
- Deux gouttes de vodka
- Un peu de rhum
- Du bitter
- Une larme de vinaigre
- Un doigt de vermouth
- Un nuage de gin
- Un soupçon de cognac
- Un zeste de pamplemousse
- Deux zestes d’orange amère
- Du cherry
- Une larme de scotch
Secouer et balancer le tout dans un grand verre…
The Nutty Professor (1963). Jerry Lewis le considère comme son meilleur film. J’avais déjà écrit ici quelques mots sur ce chef d’œuvre. Alors je me répète : magnifique Technicolor, numéro ahurissant de Jerry Lewis en professeur, amoureux de la sublime Stella Stevens, et se transformant le soir en Buddy Love, un séducteur jazzy infecte et prétentieux. Du grand art…