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Derrière le Paravent Suèdois
17 novembre 2009

Rien. Incipit #2

Roman imaginaire, probable, réel… ?

Incipit #2

Je te l'ai dit : non, vraiment ce n'est pas possible. Désolé. Jack.

William relu encore le petit carton qui était attaché par un trombone en plastique orange fluo à la couverture de son scénario qu'il avait envoyé 2 ans plus tôt à Jack Goldstein. Ce n'était pas la première fois qu'un nabab lui renvoyait sa prose avec un mot de refus. Quand on lui renvoyait. Juste que cette fois-ci, en fixant la couverture de ce foutu manuscrit Silence hurlant, il se demanda ce que signifiait cette embrouille. Il était là, immobile, la langue pâteuse, sur le palier donnant sur une petite place avec palmiers. Ce fut le bruit déjà lointain de la moto du coursier qui repartait qui le fit décrocher de ses pensées et de son état comateux.

En peignoir mal ajusté et gueule de bois assortie, William finit par fermer la porte et traversa l'immense séjour en butant sur des cadavres de bouteilles de vodka, bières, Coca ou gin, heurta des cendriers pleins, et parfois renversés, de mégots de cigares et de pétards, piétina quelques sachets vides oubliés avec des petites pailles et divers déchets. Il se dirigea d'un pas incertain vers le bar en teck au bord de la piscine. Cette villa à Santa Monica, face à la mer, il se l'était offerte avec son premier succès. Un chèque de 7 millions de dollars signé par Henry Palence, le boss de Palence Pictures Ltd pour le script de L'affaire Miller, un thriller politique qui avait été 3 fois nommé aux Oscars. Il se versa un verre de scotch et s'affala dans un fauteuil en rotin sous le patio. Il renifla, se gratta l'entrejambe, respira profondément l'air tiède porté par le vent de cette fin de matinée d'hiver et se remémora son dernier déjeuner avec Jack.

Comme il le faisait 3 ou 4 fois par an, il s'étaient retrouvés chez Tony, un italien au bas de Sunset Boulevard, une pizzeria branchée où le prix d'un soda pouvait nourrir une famille du Burkina Faso pendant 6 mois. Ils y échangeaient leurs idées et leurs projets, et William était même reparti une fois avec un chèque et une commande de script. Ce jour-là, comme d'habitude, William lui avait fait un pitch sur ce qu'il pensait être le film le plus terrifiant de tous les temps, une «vraie» histoire, construite et dense. Un truc aussi flippant que L'Exorciste, Shining, The Blair Witch Project et le premier SAW réunis. Jack n'accrochait pas. Ils en discutèrent et Jack finit par trancher en lui expliquant que ce type de cinéma ne s'inscrivait pas la stratégie du catalogue de Goldstein Entertainment et que c'était de la loterie : succès garanti ou alors flop total, bon à finir en dvd pour l'Europe et des diffusions sur des chaînes du câble. Jack lui laissa quand même un exemplaire de son scénario, un document avec cette fameuse couverture en papier noir mat siglée By William Burton en relief, bien connue de tous les players et producteurs de Los Angeles. 2 ans déjà.

Le document à couverture noire était posé à même le sol humide entre les pieds de William chaussés de baskets dépareillées sans lacet, les premières chaussures qu'il avait trouvées au pied du canapé où il cuvait quand le coursier avait sonné. Il avala une gorgée de son scotch en pensant à cette enflure de Jack.

Silence hurlant était à l'affiche depuis plus de 3 mois et battait des records d'entrées. Mais le plus pénible dans l'histoire, était pourquoi et comment un type qu'on avait retrouvé dans sa piscine avec une balle dans la tête une semaine plus tôt avait décidé de faire porter à son auteur un scénario refusé mais tourné, avec en prime un carton écrit de sa main ?

PIZZA_SUNSET
Une pizza sur Sunset de Conan Mc Lloyld
Traduit de l'américain
Éditions Imposture - 286 pages
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Commentaires
I
nekkonezumi > Quel film sublime… ;)
N
Sur Sunset Boulevard on finit forcément mort dans une piscine !
Derrière le Paravent Suèdois
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