Rien. Internet, la grande illusion /8
Fallait pas rêver, ça devait forcément arriver un jour : Twitter envisage d'ouvrir son service à la publicité et ainsi monétiser une audience de près de 45 millions de visiteurs mensuels.
Bon courage… Car même si Facebook, par une annonce de Mark Andreessen faite à Reuters, prévoit 500 millions de dollars de revenus en 2009, ça ne fait que 2 malheureux dollars par inscrits. 2 dollars pour des wagons de messages, photos, vidéos, jeux et gadgets, et parfois des informations détaillées sur les inscrits. Comment Twitter va alors vendre à des annonceurs un torrent de blablas limités à 140 signes, dont des RT ou des liens pointant vers tout et n'importe quoi ?
Cette annonce de Twitter rappelle surtout que l'économie du virtuel n'échappe malheureusement à aucune règle élémentaire de gestion. Chassez la réalité des chiffres, elle revient au galop…
Postulat économique
Le tout gratuit n'existait pas, il n'existe pas et ne sera jamais.
Épisode 8 / De la grande illusion du gratuit…
Ou de la fin inéluctable du Web 2.0
C'est bien là que ce situe l'idée la plus fumeuse portée par les évangélistes de l'Internet et du Web : bâtir des entreprises en imaginant que les consommateurs ne paieraient pas le produit. Et que la foule se monétiserait, chère, si elle est nombreuse. Et très chère si elle est très nombreuse. Juste que ces «visionnaires» ont oublié deux choses : une donnée incompressible d'une part et un principe d'ordre énergétique, si je puis dire, d'autre part.
Commençons par l'incompressible : un produit, ou un service, a toujours un coût. Étude, fabrication, matière, stockage, maintenance, publicité, formation, diffusion, distribution. Même si certaines de ces lignes budgétaires peuvent être réduites à zéro, il y en aura forcément quelques unes à payer.
C'est précisément sur cet oubli que ce sont bâtis le Web 2.0, Facebook, Twitter, Myspace, les réseaux et plateformes de blogs et de partage, Youtube… Dans le Web 2.0, le produit c'est quoi, ou plutôt les produits/services ? des contenus sans bourse délier (posts, vidéos, tweets, photos, ragots…) que tout le monde déverse, via des services en ligne, dont certain totalement gadget, dans le grand vide-grenier de l'Internet. Et comme dans tout vide-grenier, 95 % de la camelote présentée n'a strictement aucun intérêt. Et par conséquent on n'y achète pas grand chose…
Si la production du contenu est gratuite (et je ne m'étendrai pas sur sa qualité globale…), quelles sont alors les lignes budgétaires restantes ? Juste deux pour simplifier : le stockage et la diffusion. Le contenant pour la faire courte.
Mais pas des petites lignes ! Les centaines de millions de vidéos hébergées par Youtube ? 700 millions de dollars par an pour faire tourner le machin. Le Crédit Suisse estime les pertes du site en 2009 à 470 millions de dollars. Facebook ? Twitter ? Tous les services qui réunissent et animent la communauté des internautes ? Des pertes. Vous l'avez compris ce bazar Web 2.0 coûte des milliards. Ce qui est le plus grave dans l'histoire, c'est que ces sites qui existent pour certain depuis plus de 5 ans, ne rapportent toujours rien et creusent tranquillement leur pertes d'exploitations. On marche sur la tête ! Ouvrez une boutique de fringues, un salon de coiffure, une épicerie, un cabinet comptable ou une société de services en informatique et ne fabriquez que des pertes pendant 2 ans, allez soyons fous, 3 ans, et vous me direz si votre banquier vous accompagne toujours…
Pour financer un service sur Internet il n'y a pas 36 solutions, il n'y en a que 2 :
– soit le consommateur internaute paie,
– soit c'est un tiers qui paie.
Ne vous fatiguez pas à trouver d'autres astuces, elles vous ramèneront systématiquement à un des 2 cas (je pense par exemple au système des numéros de téléphone surtaxés pour valider une service soit disant gratuit ; in fine c'est l'internaute qui paie…)
Or le Web 2.0 a quasiment tout misé sur les recettes publicitaires.
C'est là que nous arrivons à la seconde erreur des «visionnaires» du web 2.0: oublier le fait que le marché publicitaire n'est pas extensible à perte de vue. Le marché publicitaire, c'est comme le pétrole : il y a un certain nombre de réserves et une production mondiale annuelle qui peut croître (ou décroître) dans des proportions raisonnables. Imaginer que ce pétrole allait financer du jour au lendemain des besoins à croissance quasi exponentielle est une utopie totale. Et j'ai peur que l'avenir le confirme un peu plus…
Ainsi, pour financer tout ce bazar et le sauver de la faillite comptable dans laquelle il est à ce jour, il aurait fallu que les annonceurs fassent des arbitrages extrêmement violents, autrement dit qu'ils lâchent du jour au lendemain des supports de masses comme la TV ou la radio pour tout miser sur l'Internet et ainsi irriguer de leurs centaines de millions d'euros ce Web 2.0 et ses communautés.
C'était leur demander de sauter dans le vide… Un annonceur a besoin de chiffres et de retour sur investissement. Ce n'est pas un philanthrope. Or, qu'on le veuille ou non, les mesures d'audiences et de fréquentations des sites sont encore hautement nébuleuses et les négociations obtenues en matière d'achat d'espace sont tellement élevées, pour ne pas dire fantaisistes, que l'ont fini forcément par avoir un léger doute sur ce qu'on achète. Alors on teste tel site pour voir, puis un autre… Par les temps de crises qui courent, je ne suis pas sûr que les annonceurs ont encore l'humeur à tenter des expériences. D'ailleurs la croissance à 2 chiffres du marché pub de l'Internet, pour l'instant c'est fini.
Dans le Web 2.0, on n'a pas d'argent, mais on a des idées… coûteuses.
Fin inéluctable du Web 2.0, ai-je écrit ? Yep. Et pour deux autres raisons.
D'abord une petite étude* à la con selon laquelle 68 % des internautes ne cliquent sur aucune pub et qu'un petit groupe de 6% serait à l'origine de 50 % des clics. Un peu comme si TF1 annonçait à ses annonceurs, toutes marques et tous produits confondus, bah, que la moitié de tous leurs spots seront vus ? retenus ? que par 6% de l'audience. Corollaire : qui peut être alors intéressé à la fois par des couches pour bébé, le dernier téléphone portable, une convention obsèques, le CD d'une star de R&B, une promo pour un séjour au Maroc et des petits suisses… Cette étude date de 2008. Et comme depuis «l'audience» du Web et sa consommation ludique ont forcément augmenté, on peut de se demander si la même étude menée aujourd'hui ne donnerait pas des résultats plus inquiétants.
Ensuite, un gros signal d'alarme vient d'être tiré par un des hommes les plus puissant du monde : Rupert Murdoch. Juste pour mémoire, cet Australien est propriétaire du géant mondial NewsCorp : cinéma, TV et studios (de Twenty Century Fox à Nouvelle Star…), presse (New York Post, The Wall Street Journal, Dow Jones…), édition (HarperCollins Publishers…) et Internet avec en particulier Myspace. Concernant le site communautaire, Murdoch a fait procédé à une purge (grosso modo la moitié de l'effectif a été virée) et le staff du site est prié de vite rentabiliser un actif acquis à plus 500 M$ en 2005 et qui est toujours en pertes.
Mais le signal que vient d'envoyer Rupert Murdoch courant août est plus fort et lourd pour la suite : fini le gratuit.
Courant 2010 tous les sites des journaux et magazines du groupes seront payants.
Moi, j'appelle ça le début de la fin de partie.
Parce que l'histoire des économies des médias a montré que lorsque Murdoch éternue, c'est très vite la Bourse et les autres groupes de média qui s'enrhument. Au même moment, curieusement, en France, Libération lance une «nouvelle offre», puisque son patron Laurent Joffrin ne veut pas qu'on parle de nouvelle formule, et parmi ses «offres» : rendre payant le site. D'autres journaux et sites se posent la même question tandis que Mediapart envisage d'éditer un hebdo papier…
Alors le Web 2.0, Game Over ?
Pas exclu. Non pas par absence de joueurs loin s'en faut, mais par manque d'argent, tout simplement…
C'est con, hein…?
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*Une étude menée par Starcom, Comscore et Tacoda aux US