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Derrière le Paravent Suèdois
12 octobre 2007

c'est moi qui décide (Na !)

«Je me prénomme Octave. Je ne suis pas un gentil garçon. Je suis un grosse merde. Un héros moderne, quoi… J'ai passé ma vie à vous manipuler contre 75 000 F par mois. Cest moi qui décide aujourd'hui ce que vous allez vouloir demain : Chanel, Eurostar, Barilla, Madone…».

Je me prénomme François. Je pense être un garçon gentil, mais je peux être une enflure si il le faut. J'ai ma dignité et ne me juge pas comme une merde. Je n'ai pas la prétention de manipuler qui que ce soit, mais certains mois, il peut m'arriver de gagner 75 000 balles (Francs…). Et surtout je ne décide rien aujourd'hui de ce que vous allez vouloir demain. Je n'ai pas cet orgueil grotesque. Chanel, Eurostar, Barilla ou Danone décident comme des grands et ils n'ont besoin de personne pour cela…

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J'ai lu 99F de Frédéric Beigbeder à sa sortie en 2000. Vague souvenir du pitch : Octave, créatif dans une agence, pète les plombs après une présentation dramatique devant le boss de Madone, une grande marque de yaourts. Octave tire alors à vue sur le monde la publicité et de la consommation entre deux rails de coke… Cela m'a amusé et j'ai vite oublié. Les boss de Young & Rubicam, où était employé Frédéric Beigbeder comme concepteur rédacteur, n'ont pas été amusés et n'ont pas oublié puisqu'il l'ont viré. Bah oui, dans la pub on n'a pas le sens de l'humour. On se prend au sérieux…

C'est peut être là le problème des artisans en réclame, dont je fais partie. On croit trop à tout ce qu'on fait. On y croit tellement que les autres finissent par le croire aussi. Alors oui, nous sommes de grands manipulateurs, des gourous de la consommation, des visionnaires de ce que vont manger nos congénères dans les années à venir. Et quelle insolence de venir remettre en question notre savoir, que dis-je notre science…

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2007. 99F, le film. Octave vient de se faire mettre à la figure le story-board du prochain film du yaourt Madone. Un story quoi ? Ah, oui, c'est vrai la vendeuse de PantaShop de Montluçon, elle va pas comprendre. Bon, on va le tourner pour de vrai le spot, comme ça elle pigera de quoi qu'il cause Octave Dujardin. Il est à mourir ce spot ! Octave et son AD (Art Director… Directeur Artistique… oui, le mec qui bosse sur Mac - pas un PC, quelle merde !… - pour faire les maquettes…) sont pliés en quatre. Comme tout le monde autour de la table de réunion au siège de Madone. Et moi aussi dans la salle…

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Sauf que le boss de Madone, il pose la question qui tue : «Pourquoi faire de l'humour?» Octave patine. Le boss repose la question : «Pourquoi faire de l'humour?». Octave affirme que quand il y a humour, cela favorise la mémorisation. Le boss convient que leur spot le fait bien rire, là à Paris. Mais à Montluçon, il n'est pas sûr. Il n'y croit pas du tout même. Sans vouloir faire la création, il suggère une danseuse, quelque chose de plus léger, artistique, émouvant… C'est celââ…

Octave rumine : «Dis gros con, quand tu vas chez le dentiste, tu lui fais confiance ? hein ? Bah, nous c'est pareil, faut nous faire confiance…».

Un souvenir raisonne dans ma tête. L'analogie du dentiste… Bah oui, j'ai dû la faire une dizaine de fois en rendez-vous clientèle. J'en ai même une variante, quand on me demande 2 ou 3 pistes créatives et qu'il en est hors de question : «quand vous allez chez un médecin, est-ce que vous lui demander de vous faire 2 ou 3 diagnostics et les ordonnances qui vont avec pour choisir ? non ? Et bien nous, dans la réclame, c'est pareil…». C'est un concepteur anglais qui me l'avait apprise, il y a 20 ans quand j'ai débuté. Il avait la version avocat : «Avant d'aller au tribunal, tu lui demandes 3 plaidoiries pour choisir ?». Imparable, hein ?… tu parles…

Octave rumine. Mais tout ça, il le dit dans sa tête. Moi, j'ai osé le dire à des clients. Et je me suis fait bananer, comme Octave. j'étais débutant, et comme Octave, je bossais dans une grande agence. Une de ces grandes crémeries où l'ont se croit des Dieux. Là aussi, tout le monde y croient tellement que cela tourne à la parodie. Comme dans le film, parodie qui amusera le petit monde parisien de la réclame…

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Octave fait un métier de con, de junky. Yes, travailler dans la pub, c'est un truc de junky. Quand on prend une drogue, cela procure des sensations agréables et la descente fait souvent mal, voire très mal. Malgré tout ça on recommence…

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La réclame, c'est ça. il y a une phase d'excitation totale, celle où l'on créé, on gamberge des concepts, on fait les maquettes puis la présentation, avec la dose d'adrénaline qui va avec. Le trip quoi. Puis vient la descente : l'annonceur qui nous fait défaire et refaire la création, qui discute le budget et qui met son nez partout : choix de la typographie, de la couleur, du mannequin, du photographe, de la jupe que portera la nana, le décor, le maquillage, le rendu, le texte, pufff facile d'écrire… Partout ! je vous dis. Et le torrent de frustrations qui en suit. Quel con cet annonceur ! Quel goût de chiottes qu'il a ! «Quand tu vas chez le dentiste, hein…»

Ce scénario je le reproduis depuis 20 ans. 20 ans que je m'amuse comme un furieux à gamberger des coups, des concepts, des idées, 20 ans que je bande à les présenter… et 20 ans que j'écoute mes clients me dire «François, c'est sympa… mais à Maubeuge, tu crois que…».

Et 20 ans que je suis accro…

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La publicité a été magnifiée dans les années 80. «Saut Créatif», «Star Stratégie», Jacques Séguéla sur tous les écrans de TV, gourou de la réclame y distillait ses théories plus ou moins fumeuses sur l'amour des marques, leur rapport avec les consommateurs via les médias. On a donné de la chair, de la consistance et de la valeur monétaire à du vent. On a même inventé le «Capital Marque», valorisation comptable d'idées : le petit nègre Banania, boum tant de dollars ! Les années 80 c'était la pub spectacle : chevaux Citroën dans un désert, fusée Apollo pour une bière, voiture jetée d'un porte avion… La pub faisait parler de la pub… et des publicitaires. Le système s'est auto alimenté. Qui parlait de quoi à qui… brouillage. Privatisation des TV, dégueulis de spots.

Octave a découvert la pub, comme moi à cette époque : génial !

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Je l'ai dit et je le redis : les publicitaires n'inventent rien. Tout au mieux ils mettent en scène une idée pour vendre un produit. Ce produit quant à lui, il est défini, marketé et fabriqué par des annonceurs qui sont avant tout des industriels et des réseaux de distribution. Ce n'est pas un publicitaire qui va souffler l'idée d'un jus à Chanel, dire à la SNCF d'ouvrir une ligne de plus vers Londres, suggérer à Barilla des formes pour ses pâtes et encore moins une recette pour un yaourt à Danone. On lui demandera éventuellement son avis sur la forme du pot, peut être le nom, et encore, il y a des spécialistes pour ça…

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Alors le film 99F ? La forme est une bouillie indigeste qui cumule des références de mise en scène à Fight Club, Natural Born Killers (Tueurs Nés de Oliver Stone), des clips des années 80 et de maintenant. Jan Kounen se perd, se dilue. Du coup le propos devient confus et oscille entre deux postures : les publicitaires sont des incompris… ou des enfoirés, des «crétins irresponsables». J'avoue que j'ai décroché, les charges dans les deux sens étant effectuées par des démonstrations d'une naïveté confondante, scolaire…

Le film se termine pas un intertitre. Un truc du style «Une étude démontre que près de 500 milliards de dollars sont dépensés par an en publicité dans le monde. Selon l'ONU, 10 % de ces dépenses permettrait de résoudre la moitié des problèmes de faim dans le monde». Moi, je propose mieux : cela fait quel % des dépenses d'armement dans le monde ? Quel % de l'industrie automobile qui contribue au réchauffement de la planète ? Arrêtons là les raccourcis à l'emporte pièce, cela devient grotesque…

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En fait, le film ne se termine pas sur l'intertitre dont je viens de parler. Comme tous les films, il se termine juste avant que la lumière se rallume et que l'ouvreuse arrive avec son sac poubelle pour ramasser les papiers de Magnum, les canettes Coca-Cola, les sachets de M&M

Jan Kounen attends bien la fin, pour faire un post-scriptum, en nous balançant ce qu'il estime être le premier film publicitaire, un truc muet de quelques secondes pour une lessive filmé par les Frères Lumières. J'aime bien cette fin, même si le propos du tandem Kouen-Beigbeder n'est pas vraiment clair, car elle donne une petite leçon d'histoire. La publicité moderne (elle a toujours existé depuis la nuit des temps, car faire du commerce est un acte ni nécessite un discours publicitaire) est née avec l'explosion des médias. Ce sont les industriels, les marchands qui ont été voir les médias en proposant d'acheter des emplacements pour parler de leurs produits. Les frères Lumière n'ont fait que planter une caméra pour filmer 3 femmes devant une bassine avec 2 gros paquets de lessive, en échange de revenus pour financer leur salles de projections au début du siècle dernier.

Ensuite des graphistes, des illustrateurs et des réalisateurs ont été embauchés par les médias et les annonceurs pour donner un peu plus de séduction à tous ces messages. Comme un marchand sortant des vannes sur ses godasses démodées vendues pour une poignée d'euros sur un marché le dimanche…

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C'est moi qui décide aujourd'hui ce que vous allez vouloir demain…
Bah, Octave si tu le dis…

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Commentaires
L
lile c'est bien aussi ;-)
I
lile > bien.
L
Vu hier soir...je confirme, à voir.
I
lilie > ah, je bande depuis un peu plus longtemps…<br /> <br /> Trub > Bises too.<br /> <br /> pbe > Manifeste… tout de suite les grands mots !! bof, je donne mon vague avis, c'est tout…
P
Il est bien ton manifeste Monsieur
Derrière le Paravent Suèdois
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