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Derrière le Paravent Suèdois
9 février 2006

Panoramique

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Trip Sergio Leone en ce moment. Sur mon ancien blog explosé chez 20six, vous trouverez une note sur Duck, You Sucker, l’avant-dernier film réalisé par le maestro (note en ruines ici). Les 5 westerns d’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma (enfin pour moi) ont été restaurés et réédités dans une mini collection de dvd. Je les achète un par un et les regarde tranquillement, comme on déguste un Pétrus.

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Dernier en date The Good, The Bad and The Ugly. Pour moi, c’est le meilleur Leone. Le pitch est simple et flamboyant : l’histoire folle de 3 personnages qui traversent une Amérique déchirée par la Guerre de Sécession pour trouver un butin de 200 000 dollars en or enterré dans un cimetière. L’un connaît le nom du cimetière, un autre le nom de la tombe et le troisième les poursuit pour mettre la main sur le trésor. Et cette chasse infernale dure des mois…

Je pourrais faire un long post pour analyser ce film, plan par plan, ou parler de la réalité historique. Juste un mot sur ce dernier point. Le western de Sergio Leone est du vrai western. Il travaillait beaucoup à partir de photographies et documents de l’époque. Par exemple, les grands manteaux maxi longs que portent Clint Eastwood et, plus connus, les affreux méchants dans Il était une fois dans l’Ouest, existaient bien. Ce n’est pas un caprice de costumier italien…

La bataille finale pour le pont est véridique dans sa reconstitution. Le dvd propose d’ailleurs une série de photos historiques montrant les tranchées et lignes de batteries. C’est exactement ce que l’on voit à l’écran. Pour conclure sur l’aspect historique, il faut se rappeler que la Guerre de Sécession est la première guerre moderne, à base d’embuscades, de minis fronts éparpillés, de mouvements de troupes permanents. Et la première guerre suivie et couverte par les média. La première guerre photographiée.

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Le cinéma de Leone, c'est le Bescherelle du cinoche. Champ, contre champ, travelling, panoramique, plans large, américain, serré, caméra subjective, plan de coupe, flash-back, arrêt sur image, fondu, ralenti, écran partagé, volets, etc. etc. Toute la syntaxe et la grammaire du ciné y sont…

The Good, The Bad and The Ugly marque le sommet de la maîtrise de l’écriture cinématographique de Leone. Cela commence dès la première image avec l’apparition sur bord cadre d’un des méchants qui court après Tuco. Cadrage au cordeau, gros plan, couleurs magnifiques et juste un hurlement de coyote. Sergio Leone avec cette scène d’ouverture écrit déjà le premier quart d’heure d’Il était une fois dans l’Ouest. Une mouche remplacera le coyote…

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Immobilisme et envolée. Selon la situation dramatique, Sergio Leone construit chaque scène soit par des successions de plans fixes, soit par des panoramiques ou travellings. Mais qu’il s’agisse d’alternance saccadée de plans larges dans un somptueux Techniscope (procédé tombé un peu dans les oubliettes et dont il a fallu retrouver les objectifs pour la restauration du film) et de gros plans de visages burinés, sales, en sueur, ou d’un émouvant mouvement de grue sur les tranchées avant l’assaut d’un pont, Leone procède à chaque fois de l’envolée. Envolée visuelle combinée à l’envolée musicale de son alter ego, Ennio Morricone.

La recherche du paroxysme. C’est le procédé d’écriture de Leone : monter progressivement la tension entre les personnages, entre le spectateur et l’intrigue. Monter l’émotion visuelle pour accroître l’intensité dramatique. Les 3 héros voient progressivement la Guerre de Sécession venir perturber leurs plans. Joe et Tuco ne peuvent plus continuer leur arnaque du bon chasseur de primes ramenant le truand. Et Sentenza, la brute, se retrouve officier dans un camp de prisonniers.

L’intrigue se complique et, au fur et à mesure, l’écran se remplit. L’image se remplit de personnages, de décors, d’actions, de groupes, de foules, d’armées. De règlements de comptes à 4 ou 5 dans un village désert, on passe progressivement à une bataille rangée où des centaines de soldats s’étripent à coups de canons, puis à la baïonnette.

Les héros sont aspirés par l’Histoire. Dans Duck, You Sucker, le dernier western de Leone, ils n’y échapperont pas. Ici, ils réussissent à s’en affranchir en la stoppant avec un peu de dynamite. On se bagarre pour protéger un pont ? Rayons le pont et revenons à notre petite histoire, de l’or enterré dans un cimetière.

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La séquence finale est un moment d’anthologie. La trouvaille, bien sûr, réside dans la configuration du duel. Ils ne sont pas 2, mais 3 à s’affronter, en triangulaire. Sergio Leone construit des plans larges sur lesquels on pourrait certainement disserter. De la symbolique d’un triangle formé et inscrit dans un cercle de pierres et de sable, au milieu d’un cimetière…

Mais ce qui est à retenir dans cette fin, ce n’est pas le duel en soit, mais le maintien du paroxysme atteint dans les séquences précédentes. Des grands déploiements de troupes sur un immense champ de bataille, nous passons à un cimetière désert.

En deux envolées lyriques, Leone remplit le vide et atteint un autre niveau de tension. D’abord par une envolée combinée de la caméra et de la musique, en chorégraphiant littéralement l’arrivée de Tuco dans le cimetière et sa course frénétique pour trouver la tombe. Un panoramique travelling circulaire suit Tuco. La caméra tourne, tourne… Tuco tourne, tourne… La musique tourne. Vertige. Et avant de chuter dans cette folle valse, Leone stoppe net. Sur une tombe…

Puis combinaison d’une caméra immobile cette fois et d’une autre envolée musicale, pour le duel proprement dit. Succession de plans larges, larges, larges, puis alternances de serrés, larges. Paroxysme croissant, plans de plus en plus serrés, courts. Montée de la tension entre les protagonistes. Entre Leone et ses spectateurs. Génie total cinématographique : le mouvement se fait par le montage. Échange de coups de feu expédié en 2 plans. Paix à leur âme.

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Ok, je m’emporte… Et en plus, je ne voulais pas parler d’un truc plan par plan. Mais Leone, c’est Leone…

Le Bon, la Brute et Le Truand – 1966 – Réalisé par Sergio Leone. Écrit par Luciano Vincenzoni et Sergio Leone. Avec Clint Eastwood (Joe), Lee Van Cleef (Sentenza) et Eli Wallach (Tuco).
Musique : The Ecstasy of Gold, l'arrivée et la course de Tuco dans le cimetière…

 


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Commentaires
I
Vincent > merci infiniment pour ce complément de note !<br /> <br /> Kalila > alors, hein ???
V
Je ne pense pas que ce soit une recette mais un style, une écriture. C'est vrai que les critiques ont mis du temps à comprendre et accepter la véritable révolution que Léone a apportée au genre.<br /> On ne peut pas dire que l'oeuvre de Léone ne varie pas. Il passe d'un démarquage de film de samourai à deux films qui gagnent en ampleur et en étude de rapports entre deux puis trois personnages. Le troisième est aussi plus ambitieux et introduit un discours sur l'Histoire. Le suivant est à la fois une épopée politique et une réflexion sur le genre. je vous conseille le tout récent livre de Christopher Frayling sur le sujet. ...La révolution est encore autre chose et le film, plutôt nostagique, joue sur d'autres thèmes.<br /> Mon Nom est personne, enfin, n'est pas vraiment de léone, Valerii est un excellement metteur en scène, mais il est vrai que la projet a été très "surveillé par le maître. Là encore, c'est une réflexion sur le genre mais aussi une belle méditation sur le temps qui passe et le changement d'époque.<br /> Quand au western italien en général, je vous conseille Django, Quien Sabe, Tire encore si tu peux ou Le Mercenaire, des films très différents même si une grosse part de la production était effectivement peu originale. il y a eu de grands moments et de grands films.
I
Mon nom est blackknight > En effet on pourrait écrire des tonnes sur les films de Leone. "Il était une fois l'Amérique" est bien au programme, mais pour l'instant je suis dans les westerns.
P
En effet, on pourrait écrire tout un bouquin rien que sur ce film. Je l'ai vu une dizaine de fois et c'est toujours un régal à chaque seconde, d'autant plus que je me suis intéressé en particulier à cette guerre…<br /> N'oublie pas "Il était une fois en Amérique"…
I
Kalila > ah, très chère, il me parait évident que quelques séances de rattrapage s’imposent !<br /> Il est vrai que le cinéma de Leone procède de la «recette». Je le souligne même dans mon autre post sur Duck You Sucker. Le western spaghetti est donc bel bien un genre cinématographique. Maintenant il s’agit avant tout d’un procédé artistique de narration et de mise en scène, un peu comme en littérature. En revanche les histoires sont bien différentes. La seule constante qu’il y a dans les films de Leone – et c’est en ce sens qu’on peut parler d’un œuvre vraiment construire, une saga sur l’Histoire et les histoires de l’Amérique – c’est le télescopage entre ses héros et l’Histoire. <br /> Je t’invite à revoir les 2 films dont je parle qui sont d’une densité rare.<br /> « Mon nom est personne » est un peu à part. Je ne me souviens plus trop du pitch. Leone l’a « simplement » produit (le film est réalisé par Tonino Valérii) et il s’agit plus d’un testament du western. Une leçon de cinéma avec un drôle d’hommage à Sam Peckinpah…
Derrière le Paravent Suèdois
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